Ce groupe de recherches est constitué d’enseignant·es, de chercheur·euses et d’artistes. Situées à l’intersection d’une musicologie critique1, féministe2 et de l’épistémè queer, nos études portent sur des œuvres, dispositifs et expressions musicales et sonores de toutes époques, répertoires et cultures. Nous poursuivons plusieurs objectifs : documenter les pratiques, écoutes et savoirs musicaux marginalisés autant que transgressifs, questionner les multiples codifications/expressions sonores et musicales d’identités non-normées, interroger l’état de nos savoirs et outils d’analyse par ce prisme, entamer une réflexion sur les archives musico-sonores, entre autres. Ainsi, nous entendons soumettre les structures, concepts et autres discours musicologiques sur lesquels la discipline s’est construite aux ouvertures théoriques produites par les dissidences de genre ou de sexualité.
Les perspectives queers doivent demeurer, par définition, insaisissables et fertiles dans un rejet de « l’essentialisme et la naturalisation contre lesquelles le sujet queer se constitue3 ». Sur ces bases, penser les œuvres, le son autant que l’écoute implique de construire un dialogue interdisciplinaire entre les études sur la musique et les études culturelles, de genre, féministes, trans, inter, lesbiennes, gaies et décoloniales. Pour cela, l’étude des artistes, des acteur·rices de la vie musicale, des sources, des usages, des modes de consommation, voire de l’historiographie musicale, dans un geste anachronique fédérateur revendiqué et contrôlé4, nourrira une praxis queer de la recherche musicologique, dans l’espoir de susciter des réflexions et des échanges en marge du canon et des postures héroïques, des masculinités hégémoniques hétérosexistes ou, pour le dire autrement, du patriarcat5.
Notre ambition est de queeriser nos approches et nos méthodes plurielles6, comme on a pu dans d’autres domaines tenter de QueeRriser l’esthétique7. Musi·queer s’intéressera tout particulièrement aux angles morts de l’histoire de la musique et plus largement au hors-champ sonore, musical et historiographique. Il s’agira ainsi d’organiser à destination de publics variés des événements scientifiques, des colloques, des journées d’étude ou des séminaires, des performances, des concerts, des discussions, des formations ou n’importe quel autre type d’événement en lien avec les thèmes présentés, afin de favoriser le dialogue entre chercheur·euses, musicien·nes, créateur·rices et étudiant·es.
Charte éthique
Dans leurs recherches, leurs écrits et lors de leurs interventions ou performances publiques et musicales, les membres de Musi·queer s’engagent au respect, à l’apprentissage mutuel et à la co-construction des savoirs avec toutes les communautés LGBTQIA+ et de genre et/ou de sexualités minorisées. Participer à Musi·queer vaut approbation de cette charte.
Musi·queer refuse fermement toutes les formes de discriminations homophobes, lesbophobes, biphobes, transphobes, enbyphobes et intersexophobes. Ses membres s’opposent aussi à toutes les violences sexistes et sexuelles, racistes, validistes, classistes et impérialistes qui frappent trop souvent les personnes appartenant aux communautés lgbtqia+ et de genre et/ou de sexualités minorisées. Les conditions de vie des personnes lgbtqia+ constituent en effet le contexte indépassable des recherches conduites au sein de Musi·queer. La dignité de chacun·e·x ainsi que l’autodétermination corporelle, de genre et de sexualité sont des dimensions essentielles et incontournables de nos travaux et de nos études.
L’abréviation « LGBTQIA+ », mais aussi le terme « queer », renvoient à des personnes très différentes de l’une à l’autre, qui peuvent appartenir à une ou plusieurs communautés et avoir des expériences multiples. Il est donc indispensable de prendre en compte les termes, accords et pronoms que les personnes elles-mêmes utilisent pour se nommer, sans appliquer ses préjugés de façon arbitraire ou à partir des catégories dominantes. Il ne faut par ailleurs jamais oublier qu’une même personne/groupe peut se reconnaître dans différents termes ou identités tout au long de son existence.
Il est fondamental de tenir compte des interactions entre les différents aspects de l’expérience d’une personne ou d’un groupe et son ou ses identité(s) LGBTQIA+. C’est en évitant de traiter séparément ces différentes composantes qu’on se donne vraiment les moyens d’analyser la marginalisation et l’oppression avec précision.
Les personnes trans, intersexes et/ou non-binaires font partie des communautés queer et lgbtqia+ qu’elles ont contribué à construire, consolider et soutenir tout au long de leur histoire partout dans le monde. L’effacement, la pathologisation, la mise sous tutelle ou le dénigrement de ces expériences et identités, peu importe le motif, n’ont pas leur place dans nos recherches. De même, la bisexualité, l’asexualité et la pansexualité ne doivent en aucun être effacées a priori par une application binaire des catégories homo/hétérosexuelles. Les études trans, inter, bi et pan font partie des études queer.
Les recherches conduites au sein de Musi·queer sont nécessairement féministes et refusent la séparation du personnel et du politique. Par conséquent, toute personne, ou entité institutionnelle ne respectant pas de façon avérée par son comportement ou ses prises de position les principes listés ci-dessus, garants de l’intégrité éthique de notre travail individuel et collectif, s’exclut elle-même de Musi·queer. Les membres du groupe s’engagent à être solidaires de l’application de ces principes dans leurs actions et productions écrites ou, si cela s’avérait nécessaire, à ouvrir un espace de médiation.
Crédits du carnet
- Équipe de rédaction : Louise Barrière, Jason Julliot, Jérémy Michot
- Crédits photographiques : Annie Roenkae (en-tête)
- Joseph Kerman, Write All These Down: Essays on Music, University of California Press, 1994. [↩]
- Susan McClary, Feminine Endings: Music, Gender, and Sexuality, University of Minnesota Press, Londres, 1991. [↩]
- Quentin Petit Dit Duhal, Art queer : histoire et théorie des représentations LGBTQIA+, Joinville-le-Pont, Double ponctuation, coll. « Collection ? », 2024, p. 15. [↩]
- Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire », Espaces Temps, n° 1, vol. 87, 2005, p. 127‑139 [https//doi.org/10.3406/espat.2005.4369]. [↩]
- Eve Kosofsky Sedgwick, Epistemology of the Closet, University of California Press, 1990. [↩]
- Philip Brett, Elizabeth Wood et Thomas Gary C. (dir.), Queering the Pitch: the New Gay and Lesbian Musicology, 2nde éd., Routledge, New York, 1994. [↩]
- Bernard Lafargue et Cécile Croce (dir.), QueeRriser l’esthétique, Pau, Puppa, coll. « Figures de l’art », 2021. [↩]
